lundi 11 novembre 2013

V comme verveine

Petite plante commune utilisée depuis l'antiquité pour soigner à peu près tous les maux et plus récemment en cuisine pour épater la galerie, la verveine officinale traverse sereinement les siècles et subsiste à l'état indigène partout où le vent la sème, indifférente aux convulsions de l'humanité. Elle accompagne fidèlement les rêveries du veilleur solitaire, les soirées blotties au coin du fauteuil et les vieillesses prolongées de ceux qui n'iront plus mieux.

Arrangeante et sans prétention, elle poussait gentiment dans tous les jardins de la campagne du début du XXe siècle. Elle vit partir des brassées de jeunes gens qui furent cueillis avant que d'être mûrs au fond des tranchées boueuses, dans l'odeur du sang, des entrailles et de la peur. Elle vit revenir mon arrière-grand-père, miraculé temporaire qui rentrait mourir, les poumons rongés, près de sa femme et de son fils. Elle l'entendit tousser pendant dix ans, depuis le lit qu'il ne quitta pas durant sa très longue convalescence. Elle poussa bravement, dans la cour de la ferme et fut l'unique boisson de ce poilu qui avait gagné, comme les autres, son droit d'alambic mais ne voulut jamais goûter la gnôle qu'il fabriquait. Elle le découvrit un jour guéri, déroulant ses presque deux mètres devant la porte et retrouvant le chemin de l'étable, de la grange et des champs. Comme lui, elle resta sur ces terres que ne labourèrent jamais les bombes et regarda grandir les enfants, les petits-enfants et naître encore une génération. Elle l'accompagna jusqu'au dernier repas, après lequel il mourut paisiblement, au terme d'une très longue vie, loin de la folie des hommes.

En ce soir du 11 novembre, je pense à cette grande horreur sans nom, à ce massacre insensé, à la sottise oublieuse de mon siècle. Une infusion de la modeste et amicale verveine tiédit patiemment près de moi, comme chaque soir ou presque. Je ne saurai jamais exactement combien je lui dois d'être là.

samedi 5 octobre 2013

D comme dimanche

Dimanche, jour de Dieu en français, jour du soleil outre Manche (c’est de l’humour anglais), septième jour de la semaine « consacré au repos » selon le Petit Robert.

Habituellement, le dimanche est un jour non travaillé. Le code du travail dispose d’ailleurs qu’il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine, que le repos hebdomadaire dure au moins vingt-quatre heures et que « dans l’intérêt  des salariés » ce repos est donné le dimanche. Le même code prévoit que le demandeur d’emploi qui refuserait une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne serait pas radié des listes. Suit un article relatif aux dérogations pour les établissements dont l’activité implique de travailler le dimanche.
L’intérêt d’un code, du travail ou autre,  réside tout entier dans la clarification du droit. Ici, la partition est simple : le repos dominical constitue la règle, le travail du dimanche est l’exception. Fort malheureusement, de nos jours et à l’heure qu’il est, la simplicité n’est pas toujours gage de compréhension. Il se trouve donc quelques futés qui n’entendent manifestement pas la notion de règle et d’exception. « Han, mais si y a des gens qui travaillent le dimanche, c’est que c’est pas vraiment une règle alors. Si ça vaut pas pour tout le monde, ça vaut pour personne et c’est çui qui dit qui est ». Parmi ces ardents défenseurs de la liberté de travailler des autres, peu, probablement, seraient prêts à sacrifier leurs deux jours de repos habituels mais ne soyons pas chafouins. Tentons gentiment d’expliquer à ces infortunés pourquoi il est tout simplement ridicule et aussi un peu émétisant de défendre le travail dominical (ou le travail du soir) pour vendre des boulons, du gommage ou des rideaux :
  • La crise ne va pas disparaître comme un vilain petit nuage gris dans un ciel d’août parce que les vendeurs de Leroy Merlin travaillent le dimanche. C’est très mignon de croire cela mais c’est aussi assez stupide. Range ton petit poney en plastique made in China, non sa crinière n’est pas magique même si le gentil monsieur Gattaz te l’a offert.
  • Si l’ouverture dominicale n’est plus exceptionnelle, les salariés de ces magasins pourront s’asseoir bien copieusement sur leurs primes. Si c’est normal, pourquoi les payer davantage, je vous le demande un peu.
  • Tu peux t’abstenir de consommer certains produits un jour par semaine. Si, tu es capable, concentre-toi.  Rassure-toi, tu continues quand même à consommer même en restant chez toi (de l’électricité, par exemple), tout va bien, tu es encore vivant(e).
  • Si tu pars à Leroy Merlin le dimanche matin, tu sais très bien que tu ne commenceras pas à bosser avant l’après-midi. Ces magasins ont été conçus par des gens bien plus intelligents que toi et moi pour que tu y perdes des heures. Si tu passes outre, tu ne mérites même pas le nom de bricoleur. Un chantier se commence à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne. Fumiste.
  • Tu n’as pas besoin de parfum à dix heures du soir. Non. Si tu as tenu depuis ton lever jusque là, il n’y a pas d’urgence médicale. Tu peux attendre.  Ou te laver. 
  •  Si les magasins de boulons ouvrent le dimanche, on voit mal pourquoi on refuserait à l’honnête citoyen de vouloir acheter des timbres, des jeggings ou une râpe à fromage le même jour. Tu saisis bien l’urgence de telles emplettes. Du coup, toi aussi tu travailleras le dimanche, c’est bête, tu pourras pas acheter tes boulons ce jour-là.
  • Dans ce monde merveilleux où l’on pourrait acheter toute la semaine, tous les jours se ressembleraient. Le même rythme. Toujours. La même physionomie pour les rues , sept jours sur sept. Le même traffic routier. Les mêmes horaires. Pas de temps institué pour une pause collective, et ce, sans aucune nécessité sociale autre que le caprice de ceux dont la vie est trop vide pour souffrir un instant de contemplation. 
  •  Si tu crois vraiment être un rebelle et brandir haut les couleurs de la laïcité en supprimant le repos dominical, je te propose de passer la couche de finition en te contentant  d’un bouillon clair le soir de Noël - après avoir refusé toutes les invitations de ta famille et leur avoir clairement indiqué que pour les cadeaux ils pouvaient se brosser – et en idolâtrant un veau d’or parce que c’est interdit par la Bible.  Vas-y, sois transgressif mais bon courage pour trouver un veau, même seulement doré, chez Castorama.

Le problème mon grand, c’est qu’en décalant les temps de repos, le rythme collectif devient individuel. Il n’y a plus de repère temporel pour se retrouver soi-même et retrouver les autres, un temps de gratuité comme disent certains curés avec lesquels je suis, une fois n’est pas coutume, d’accord. Alors, ne te gêne pas, fais-la ta société où tu n’existeras que pour travailler, payer et consommer, sans réfléchir, sans attendre, sans partager, sans jamais te donner le temps du bilan.

Mais sache que tu fais bien rire ceux qui continueront à jouer au golf tous les jours de la semaine, parce que, crise ou pas, il y a sept jours des seigneurs.

mardi 26 février 2013

T comme Tony (Sly)

Alors que je baguenaudais d'un pas badin et primesautier dans les méandres d'une boîte à musique en ligne, j'eus l'idée d'écouter ces vieilles fripouilles de No use for a Name qui enchantèrent ma folle jeunesse et adoucissent le début de ma vieillesse. Une envie en appelant une autre, je voulus savoir, tout en écoutant "International you day", ce que faisait en ce moment leur chanteur, ce héros du punk à roulettes au sourire si doux que, pour sa voix qui me soulève au-dessus du sol, j'eusse écouté sans pâlir n'importe quelle sous-soupe FM du moment qu'elle fut estampillée "Tony Sly".
Finalement, je n'aurai pas à endurer un mauvais album du monsieur car j'appris alors, six mois après l'évènement, qu'il n'affronterait jamais les hydres malfaisantes de la panne d'inspiration punk. Il est mort cet été. À 41 ans.
La mort et moi sommes rarement d'accord. Elle s'en moque comme de l'an 40, elle sait qu'elle aura le dernier mot et qu'elle peut nous prendre tous ceux qui nous transcendent et nous ramènent à la volupté d'être, malgré l'inanité de ce monde.
Elle peut nous prendre un Tony Sly entre deux concerts, encore heureux de gratouiller une guitare sur une scène, fidèle à son label et au faîte de ce qui ressemblerait à la gloire punk, si cette notion avait la moindre signification. La dernière image fera très bien dans l'album de l'histoire du rock.
Mais j'aurais préféré l'entendre vieillir. Même trop, même mal.

mardi 19 février 2013

H comme homme



Je veux être un homme heureux, chantait William Sheller. Moi, je veux être un homme tout court. 
Je ne suis pas sûre qu’il me reste assez d’années à vivre pour épuiser l’énumération des possibles qui s’offriraient à moi si je changeais de genre. Malgré l’ampleur de la tâche, auprès de laquelle le tonneau des Danaïdes passerait pour un chiche dé à coudre de bar parisien, je crois de mon devoir de tenter l’impossible en dressant une liste aussi partielle que douloureuse :
-          Si j’étais un homme, je pourrais mépriser les bébés, les toiser d’un air vaguement dégoûté en m’interrogeant tout haut sur les improbables raisons qui ont pu pousser un couple d’amis drôles et cultivés à renoncer à tout ce qui rend l’existence digne d’être vécue pour engendrer une larve disgracieuse et malodorante. Au lieu de quoi, mon hostilité pour les bébés me fait passer pour une créature suspecte et pour tout dire franchement dénaturée car dans notre société sexiste ( ce qui est déjà une preuve de son inanité crasse), les femmes doivent aimer les enfants. On se demande bien pourquoi.
-          Si j’étais un homme, je pourrais dire que j’aime baiser. Pas le niveau 400 du kama-sutra ou les cinq positions hardcore de la décomplexion ultime que sinon t’es qu’un has-been du pelvis, juste baiser.  La même affirmation venant d’une femme relève du suicide social.
-          Si j’étais un homme, je pourrais manger du boudin et des tripes sans que mes soi-disant semblables froncent leur nez poudré en poussant des couinements horrifiés. Parce qu’une femme, une vraie, ne mange pas, elle grignote. Et uniquement des cupcakes ou des macarons. Qui ne rêverait de passer sa vie dans la peau d’une souris anorexique en partance pour le diabète ?
-          Si j’étais un homme, en été, je ne porterais rien d’autre qu’un bermuda et des poils au lieu d’une jupe sur des jambes épilées. Parce qu’une femme se doit d’être douce. Tout le temps. Partout. Et à tous points de vue. Alors que se coltiner un statut de femme mène assez logiquement à la fureur homicide.
-          Si j’étais un homme et que je sois trompé, personne ne se demanderait si je faisais bien au lit tout ce que ma conjointe voulait ou si je ne m’étais pas un peu négligé ces derniers temps.
-          Si j’étais un homme, j’aurais le droit d’être moche et de vieillir sans qu’il devienne inconcevable de m’aimer.
-          Si j’étais un homme, j’aurais un salaire correspondant à mon poste et je ne saurais même pas ce que condescendance veut dire.
-          Si j’étais un homme, j’accèderais pleinement au statut d’être humain. Ça doit être bien.

jeudi 14 février 2013

O comme ours (polaire)



À mesure que fond la banquise, le garde-manger que des dieux un peu dérangés avaient réservé aux ours polaires se vide. Car enfin, quelle intelligence rationnelle et un peu sensible aurait imaginé de sacrifier des bébés otarie à des monstres puants et même pas capables d’entretenir correctement leur fourrure ? L’ours blanc n’est pas blanc. Il est jaune sale, tel un clochard polaire qui s’oublierait régulièrement dans son manteau après avoir ingurgité ses deux litres de Valstar. Il y a fort à parier pour que l’ours blanc pue gravement du bec mais peu de gentlemen pourront en témoigner tant le caractère épouvantable de l’animal le rend peu agréable à fréquenter. L’ours polaire est donc paré de tous les défauts les plus outrageants à notre délicatesse d’âme mais il se trouve quelques originaux pour s’émouvoir de sa probable disparition dans quelques décennies. 

Car l’ours blanc bouffe comme quatre.  Incapable d’apprécier les mets raffinés ou de tenir correctement sa fourchette en argent, le rustre bâfre dans les colonies de phoques où il n’est pourtant pas le bienvenu. On ne saurait être plus inconvenant que ce gros plantigrade malpropre qui s’invite sans vergogne chez ses voisins. Certains ours blancs qui ont l’extrême grossièreté de s’accoupler avec des grizzlis - ces derniers ne valant guère mieux - donnent naissance à des hybrides appelés grolars. Le terme se passe de commentaires.

Il resterait 20 à 25 000 de ces inconvenantes créatures, incapables de trouver un travail et d’assurer leur subsistance ailleurs que dans leur trou paumé et glacé où pas un Rotary club n’a pu subsister. Pour combler l’appétit de ces feignasses velues, des chercheurs envisagent de les nourrir, les faisant ainsi passer du statut de malotrus dépenaillés à celui d’assistés de la société. Il faudrait approvisionner ces grossiers personnages en viande de phoque pour  conserver le bien mince agrément de leur compagnie sur cette terre. 

En vérité mes amis, je m’insurge et je dis non. Qui paiera, hein, je vous le demande un peu ? Toujours les mêmes. Vous verrez qu’on nous demandera de travailler un jour de plus par an, au nom de la solidarité plantigrade. Et pendant ce temps, ces beatniks du froid fumeront du haschisch en faisant des flippers. Pas question, ne nous laissons pas faire.  Car après eux, ce sera les guépards, puis les pandas et pourquoi pas les hippopotames nains ? Non, nous n’accueillerons pas toute la misère de la biodiversité du monde. Qu’ils se mettent au boulot au lieu de dormir jusqu’à pas d’heure.

D’autant qu’une fois que nous aurons mis en place des filières d’abattage de phoque avec l’argent du contribuable, que se passera-t-il ? On retrouvera les bas morceaux dans les lasagnes surgelées que leurs réseaux nous revendront pour blanchir leur trafic de poudreuse. Qu’ils disparaissent jusqu’au dernier, les ours polaires, et leur blanc approximatif avec eux.  

Source documentaire par de vrais scientifiques : http://e360.yale.edu/feature/will_bold_steps_be_needed_to_save_beleaguered_polar_bears/2618/

mercredi 12 septembre 2012

C comme corrida

Le terme de corrida ne semble remonter qu'à 1804, preuve s'il en était besoin que c'était mieux avant. Il est issu du verbe espagnol "correr", courir, quoiqu'il paraisse bien peu envisageable pour le torero de gambader avec un pantalon auprès duquel les slims des lycéennes, qui enfreignent pourtant sans vergogne les Conventions de Genève contre la torture, font figure de vêtements flous.
La corrida consiste donc à poursuivre un taureau pour le cribler de piques et lui faire perdre la moitié de son sang dans le sable avant que de l'achever. Il paraît que c'est très beau, très allégorique et que ça met en valeur la virilité des hommes qui ont un tout petit cul adapté aux pantalons sus-mentionnés.
Soit.
Si tu vas par là, le roulement de tambour des galères et les muscles saillants des esclaves attachés à leur rame c'est ce qu'on fait de mieux en matière de sports nautiques esthétisants. Et l'étripage des femmes enceintes par les khmers rouges relevait de la performance artistique. C'est juste que les gens n'ont pas de goût et ne savent pas voir le beau. L'actualité littéraire récente prouve assez qu'il est possible d'écrire n'importe quelle ineptie sans perdre pour autant l'usage de ses doigts.
Comme si l'amour de ses semblables n'était pas assez menacé par la désespérante propension de l'humanité à s'abaisser aux plus fangeux replis de la barbarie et par l'imminent retour du short d'hiver, Manuel Valls, actuellement rétribué par les contribuables pour assumer les fonctions de ministre de l'intérieur, nous a gratifiés de son petit couplet tauromachiste en début de semaine. "C'est quelque chose que j'aime, ça fait partie de la culture de ma famille [...] On a besoin de ces racines, ne les arrachons pas" a-t-il crânement asséné devant un micro qui ne lui avait rien fait.
Naïvement, je croyais que le travail du politique résidait dans la résolution des problèmes de la collectivité en faisant taire les intérêts particuliers, notamment les siens et ceux de ses proches. Mais après tout, pourquoi pas ? Soyons fous, que les souvenirs de Goldorak et la recette de confiture de fraises de grand-maman guident désormais l'action politique. Si la famille de Manuel Valls apprécie la corrida, tout est dit, ce me semble. Nous avons atteint là l'achèvement parfait de la dialectique, inutile de pérorer davantage.
Quoique des esprits chagrins viendront probablement gâcher notre joie innocente à célébrer avec M. Valls les saines et belles traditions de nos terroirs, n'oublions pas le message d'espoir et d'équanimité qui nous a été délivré en début de semaine. Alors qu'effondrés, nous croyions les Cassandre de la presse qui nous dépeignaient un pays au bord du gouffre, notre ministre de l'intérieur, parfaitement affranchi de la pesanteur de l'actualité, exécute sans coup férir un splendide numéro de danse folklorique, option castagnettes. C'est beau, la responsabilité politique.

mercredi 5 septembre 2012

B comme bidet

D'abord petite monnaie puis pistolet de poche ou petit âne, le bidet ne devient l'équipement sanitaire que nous connaissons qu'en 1739. Le mot mettra des décennies avant d'être considéré comme suffisamment convenable pour être écrit dans un ouvrage respectable. L'objet lui-même gagnera du terrain au cours du siècle des Lumières, qui était aussi celui de la crasse triomphante, avant que d'être proscrit par le bien-pensant et très catholique XIXe siècle. 
Je ne saurais trop vous conseiller la lecture du "Confident des dames*", passionnant ouvrage prenant prétexte de retracer l'histoire du bidet pour nous éclairer sur celle de l'hygiène. Âmes sensibles s'abstenir (celui ou celle qui me révèle le raccourci clavier pour poser un chapeau sur le A majuscule gagne une magnifique carte postale). Votre petite cervelle ravie apprendra ainsi qu'au nom de la prévention de l'onanisme, des médecins ayant pignon sur rue préconisaient l'excision des petites filles s'y adonnant ou pratiquaient sur les mêmes patientes la brûlure des parties génitales au nitrate d'argent. Ou bien que l'expression "accorder ses faveurs" vient du soin extrême que l'on portait, au XVIe siècle, à la mise en plis et à la décoration de certaines zones de pilosité.
Mais le morceau de bravoure de cet ouvrage reste une citation d'anthologie, un cri de haine à l'encontre de son genre, poussé en 1698 par un certain C.M.D. Noël dans son livre "Les avantages du sexe, ou Le triomphe des femmes, dans lequel on fait voir par de très-fortes raisons que les femmes l'emportent par dessus les hommes, & méritent la préférence**". À cette époque bénie, d'aucuns cachaient peut-être un séant d'une propreté douteuse mais les directeurs de marketing n'avaient pas encore envahi les maisons d'édition et l'auteur pouvait choisir un titre informatif sans être agressé par un crétin à chaussures pointues ou une dinde méchée lui jetant à la face leur diplôme d'école de commerce pour riche illettré. Ce brave Noël dont l'Histoire a injustement englouti le nom écrivait donc, de toute la force de sa plume courroucée : "la femme est plus propre et plus douce que l'homme parce que la nature, qui est notre mère provide, a pris un soin tout particulier de pourvoir à sa propreté. C'est pour cela qu'elle a inventé le merveilleux secret de la purifier tous les mois et de jeter au dehors, mais par voie secrète, tout ce qui peut s'y rencontrer de superflu et d'impur, au lieu que l'homme, qui n'a pas cet avantage, le rend par les pores qui se trouvent aux parties les plus apparentes, ce qui produit en lui ce teint grossier, cette crasse sordide, ce poil rebutant et cette barbe hideuse dont il est recouvert et qui ne sont autre chose que les excréments de cette chair vile et impure."

A se demander si ce garçon n'éprouvait pas une légère antipathie à l'égard de ses congénères.


 



* Le confident des dames, Fanny Beaupré et Roger-Henri Guerrand, Editions La découverte, 1997.
** A consulter pour de vrai ici

lundi 27 août 2012

R comme réclamation

Utilisé peu après l'an mil dans son sens actuel, le terme "réclamer", puis son dérivé "réclamation", ont allègrement traversé les siècles sans subir les outrages d'un dévoiement quelconque, preuve qu'un mot utile a toujours un bel avenir solide devant lui. Les "brimborions" et autres "admonitions" feraient bien d'en prendre de la graine.
Pour illustrer, si besoin était, l'actualité de la réclamation, je citerai la lettre devenue fort célèbre qu'un admirateur éperdu de l'éphémère interprète musicale Tal - vous ne la connaissez point, ne changez rien - a fougueusement adressée à la chaîne Direct Star - dont vous pouvez également ignorer jusqu'à l'existence - en vue de les menacer des pires représailles s'ils persistaient à évincer ladite chanteuse de leur classement.
Ci-dessous, l'objet du délit :



Subjuguée par tant de créativité syntaxique, je ne compris pas tout de suite les mirifiques possibilités qu'ouvrait ce courrier. Mais oui, bien sûr, me dis-je en moi-même - aussi enthousiaste qu'Archimède après son bain mais avant son étripage par un troufion romain - folle que j'étais, je souffre en silence depuis des décennies des goûts musicaux pathétiques de mes contemporains alors qu'il suffisait de clamer haut et fort ma détestation. Et qui sait, peut-être mon supplice prendra-t-il ainsi fin ? Ou tout au moins pourrai-je couvrir de mes cris courroucés le tumulte grossier de la rengaine populaire ?
Je m'attelai illico à cette tâche aussi ardue que sacrée. Las, je compris bien assez tôt qu'il faudrait, pour être comprise, ramper jusqu'à la fange des bas-fonds où notre belle langue est chaque jour outragée par le gueux et l'impie. Bref, j'entrepris d'écrire au directeur de mon supermarché de quartier.


Note : Je tiens ici à remercier tout particulièrement les élèves de seconde dont je fus l'éphémère et effaré professeur de français, sans lesquels cette performance n'aurait seulement pas été imaginable, pour m'avoir inspiré et surtout m'avoir appris, dans d'atroces souffrances, qu'avec de l'audace, tout (même le pire) était possible. Mes chers enfants, soyez maudits jusqu'à la quatorzième génération.

vendredi 24 août 2012

D comme Delarue

Présentateur télé mielleux, nauséabond et sans intérêt aucun, Jean-Luc Delarue est mort, au moment où ceux qui n'ont pas encore à endurer la trahison de leur corps reviennent de la plage. Il est mort, tristement et bêtement, comme tout le monde, ce qui n'a pas dû laisser de le surprendre.

 Suggestion d'épitaphe :
"A toujours voir la paille plantée dans la narine de son voisin,
On oublie la poutre embusquée qui va nous tomber sur les reins."

lundi 13 août 2012

A comme autoradio

Appareil destiné à diffuser de la musique dans un véhicule terrestre à moteur (VTAM pour les intimes), l'autoradio aurait été inventé en 1922. Le mien était un peu plus récent et comportait les dernières merveilles de la technologie moderne, à savoir un port usb, dans lequel je n'ai jamais déniché la femme censée s'y trouver. Comme quoi, la sagesse populaire n'a pas su s'adapter aux trépidations de ce siècle fascinant au cours duquel nous avons l'incroyable chance de vivre. Béni soit l'Iphone, comme dirait l'autre. Or donc, ce fort pratique appareil qui enchanta mes trajets domicile-travail durant cinq ans et me permit de brailler éhontément l'entière discographie de Favez à la barbe de la France qui se lève tôt en écoutant NRJ, n'est hélas plus mien. Un anonyme délinquant a forcé la porte de mon VTAM rose pour s'emparer du susdit appareil.
Je fus de longues minutes avant d'accepter la trop brutale évidence. L'affreux voleur avait tout pris : autoradio, clés usb amoureusement compilées et même le compact-disc malencontreusement inséré par mes soins dans l'objet du délit. Mais je ne pouvais croire ce que je voyais.
Est-il seulement envisageable qu'il existât encore dans ce pays des voleurs d'autoradio ? Alors que le SMIC augmente scandaleusement chaque année - à ce rythme, si l'on n'y prend garde, les ouvriers finiront par gagner en une vie le revenu hebdomadaire de Liliane Bettencourt - il se trouve des délinquants à la très petite semaine qui prennent le temps et le risque de tordre une porte de voiture, de débrancher (proprement, il faut le reconnaître) un autoradio et de refermer le véhicule. Il leur faudra encore écouler le matériel et trouver un acheteur pour un produit qui vaut,  au grand maximum, une trentaine d'euros. Voulez-vous que je vous dise ? Ces gens-là tuent le métier, ils bradent le savoir-faire et le temps n'est pas loin où le vol d'autoradio sera délocalisé dans les pays émergents, lâchement abandonné à une main-d'oeuvre dont le niveau de qualification abyssal correspond au salaire.
Quant à moi, cette profanation de mon espace sonore me laisse au coeur une sourde angoisse et une indicible colère. Je ne puis sans frémir songer aux bruyantes abominations qui seront désormais infligées à ce malheureux appareil et son probable destin, entre les mains hideuses d'une dinde manucurée ou d'un supporter de l'OM ne laisse de m'indigner. Plus encore, l'humiliation terrible qui m'a été infligée a creusé de douloureux sillons dans une existence déjà par trop malmenée dans le tangage et le roulis de l'humaine nullité : je vis donc, et la honte est proprement insoutenable, dans l'un de ces derniers bastions, engoncés au plus profond de la plus crasse province, où de pathétiques péquenauds volent encore des autoradios.