lundi 27 août 2012

R comme réclamation

Utilisé peu après l'an mil dans son sens actuel, le terme "réclamer", puis son dérivé "réclamation", ont allègrement traversé les siècles sans subir les outrages d'un dévoiement quelconque, preuve qu'un mot utile a toujours un bel avenir solide devant lui. Les "brimborions" et autres "admonitions" feraient bien d'en prendre de la graine.
Pour illustrer, si besoin était, l'actualité de la réclamation, je citerai la lettre devenue fort célèbre qu'un admirateur éperdu de l'éphémère interprète musicale Tal - vous ne la connaissez point, ne changez rien - a fougueusement adressée à la chaîne Direct Star - dont vous pouvez également ignorer jusqu'à l'existence - en vue de les menacer des pires représailles s'ils persistaient à évincer ladite chanteuse de leur classement.
Ci-dessous, l'objet du délit :



Subjuguée par tant de créativité syntaxique, je ne compris pas tout de suite les mirifiques possibilités qu'ouvrait ce courrier. Mais oui, bien sûr, me dis-je en moi-même - aussi enthousiaste qu'Archimède après son bain mais avant son étripage par un troufion romain - folle que j'étais, je souffre en silence depuis des décennies des goûts musicaux pathétiques de mes contemporains alors qu'il suffisait de clamer haut et fort ma détestation. Et qui sait, peut-être mon supplice prendra-t-il ainsi fin ? Ou tout au moins pourrai-je couvrir de mes cris courroucés le tumulte grossier de la rengaine populaire ?
Je m'attelai illico à cette tâche aussi ardue que sacrée. Las, je compris bien assez tôt qu'il faudrait, pour être comprise, ramper jusqu'à la fange des bas-fonds où notre belle langue est chaque jour outragée par le gueux et l'impie. Bref, j'entrepris d'écrire au directeur de mon supermarché de quartier.


Note : Je tiens ici à remercier tout particulièrement les élèves de seconde dont je fus l'éphémère et effaré professeur de français, sans lesquels cette performance n'aurait seulement pas été imaginable, pour m'avoir inspiré et surtout m'avoir appris, dans d'atroces souffrances, qu'avec de l'audace, tout (même le pire) était possible. Mes chers enfants, soyez maudits jusqu'à la quatorzième génération.

vendredi 24 août 2012

D comme Delarue

Présentateur télé mielleux, nauséabond et sans intérêt aucun, Jean-Luc Delarue est mort, au moment où ceux qui n'ont pas encore à endurer la trahison de leur corps reviennent de la plage. Il est mort, tristement et bêtement, comme tout le monde, ce qui n'a pas dû laisser de le surprendre.

 Suggestion d'épitaphe :
"A toujours voir la paille plantée dans la narine de son voisin,
On oublie la poutre embusquée qui va nous tomber sur les reins."

lundi 13 août 2012

A comme autoradio

Appareil destiné à diffuser de la musique dans un véhicule terrestre à moteur (VTAM pour les intimes), l'autoradio aurait été inventé en 1922. Le mien était un peu plus récent et comportait les dernières merveilles de la technologie moderne, à savoir un port usb, dans lequel je n'ai jamais déniché la femme censée s'y trouver. Comme quoi, la sagesse populaire n'a pas su s'adapter aux trépidations de ce siècle fascinant au cours duquel nous avons l'incroyable chance de vivre. Béni soit l'Iphone, comme dirait l'autre. Or donc, ce fort pratique appareil qui enchanta mes trajets domicile-travail durant cinq ans et me permit de brailler éhontément l'entière discographie de Favez à la barbe de la France qui se lève tôt en écoutant NRJ, n'est hélas plus mien. Un anonyme délinquant a forcé la porte de mon VTAM rose pour s'emparer du susdit appareil.
Je fus de longues minutes avant d'accepter la trop brutale évidence. L'affreux voleur avait tout pris : autoradio, clés usb amoureusement compilées et même le compact-disc malencontreusement inséré par mes soins dans l'objet du délit. Mais je ne pouvais croire ce que je voyais.
Est-il seulement envisageable qu'il existât encore dans ce pays des voleurs d'autoradio ? Alors que le SMIC augmente scandaleusement chaque année - à ce rythme, si l'on n'y prend garde, les ouvriers finiront par gagner en une vie le revenu hebdomadaire de Liliane Bettencourt - il se trouve des délinquants à la très petite semaine qui prennent le temps et le risque de tordre une porte de voiture, de débrancher (proprement, il faut le reconnaître) un autoradio et de refermer le véhicule. Il leur faudra encore écouler le matériel et trouver un acheteur pour un produit qui vaut,  au grand maximum, une trentaine d'euros. Voulez-vous que je vous dise ? Ces gens-là tuent le métier, ils bradent le savoir-faire et le temps n'est pas loin où le vol d'autoradio sera délocalisé dans les pays émergents, lâchement abandonné à une main-d'oeuvre dont le niveau de qualification abyssal correspond au salaire.
Quant à moi, cette profanation de mon espace sonore me laisse au coeur une sourde angoisse et une indicible colère. Je ne puis sans frémir songer aux bruyantes abominations qui seront désormais infligées à ce malheureux appareil et son probable destin, entre les mains hideuses d'une dinde manucurée ou d'un supporter de l'OM ne laisse de m'indigner. Plus encore, l'humiliation terrible qui m'a été infligée a creusé de douloureux sillons dans une existence déjà par trop malmenée dans le tangage et le roulis de l'humaine nullité : je vis donc, et la honte est proprement insoutenable, dans l'un de ces derniers bastions, engoncés au plus profond de la plus crasse province, où de pathétiques péquenauds volent encore des autoradios.

vendredi 3 août 2012

Z comme zéro

Le mot zéro a été chipé aux Italiens qui l'empruntaient eux-mêmes aux Arabes. Même à des taux usuraires, un emprunt de zéro ne coûte pas grand-chose. Comme l'affaire était intéressante, nous avons tiré de cette racine décidément fort prolifique qu'était "sifr" un deuxième mot, à savoir "chiffre". Nos ancêtres avaient le génie de l'économie.
Par la suite, le zéro s'est avéré moins profitable qu'on n'aurait pu le croire de prime abord. Très récemment un professeur canadien en a fait la triste expérience. Mais gageons que le scientifique qu'il est nous fera prochainement profiter de ses conclusions, car la marche du progrès est inexorable même si, des fois, nous aurions toute légitimité à nous demander s'il ne s'est pas arrêté en route pour pique-niquer. Ce professeur de physique enseignait à des étudiants d'une école supérieure d'Edmonton ( à ce propos, vous me ferez le plaisir immense d'écouter, si vous ne les connaissez déjà, les géniaux The Rural Alberta Advantage et de vous esbaudir comme il se doit ) et a cru judicieux d'infliger un zéro à l'un de ses étudiants qui n'avait pas rendu son devoir. Or, le règlement de la sus-visée école interdisait le zéro. Parce que le zéro, c'est méchant et pas gentil et que ça fait de la peine aux étudiants mignons comme des bébés koalas. Là-dessus, le professeur a été suspendu (par les pieds ou les cheveux, l'histoire ne le dit pas) pour des raisons "complexes" que sa hiérarchie n'a pas voulu expliquer.
Ces Canadiens nous feront toujours rire (comme dirait Michael Moore sur le tournage de Canadian Bacon, un film injustement méconnu et hautement recommandable). De telles outrances ne sont guère possibles dans notre système éducatif forgé par les Jésuites, vous dites-vous. C'est oublier bien vite les méfaits de la télévision et des sucres rapides sur le potentiel intellectuel de l'homme moderne. Dans notre beau pays, les élèves de première S ont eu à passer cette année une épreuve anticipée d'histoire-géographie dont les résultats furent assez calamiteux au plan national et davantage dans l'académie de Toulouse. Et que croyez-vous que firent des parents bien inspirés ? Ils allèrent tout simplement se plaindre auprès du rectorat de l'injustice faite aux petits génies qu'ils ont engendrés et arguer des difficultés que lesdits futurs prix Nobel auront à intégrer les écoles après avoir raté leur épreuve.
Je rappelle que, dans ces deux affaires, les victimes sont ces êtres malodorants, bruyants et grossiers qui étalent, toute honte bue, leur inconsistance crasse et leurs goûts musicaux désastreux dans les transports en commun, submergent l'espace sonore de leurs ricanements hystériques dès que vous envisagez de poser votre séant sur une plage ou un banc public et vous polluent le cerveau avec les ondes de leur smartphone débilitant sous le fallacieux prétexte que leur boîte crânienne est aussi vide que le frigo d'une anorexique en plein régime. Je ne crois pas utile d'évoquer ici la contribution de ces bestioles malfaisantes au sein des forums et autres blogs dont certains ne méritent pourtant pas de tels outrages syntaxiques, sous le regard bienveillant d'une société pathétique où la médiocrité s'est érigée en vertu.
Quelquefois pourtant, il arrive que le système éducatif, ici ou là, piétine quelque peu l'arrogante nullité de ces abjectes créatures. Et il faudrait s'en émouvoir ?  Allons bonnes gens, c'est la crise, ne bradons pas notre indignation.