lundi 11 novembre 2013

V comme verveine

Petite plante commune utilisée depuis l'antiquité pour soigner à peu près tous les maux et plus récemment en cuisine pour épater la galerie, la verveine officinale traverse sereinement les siècles et subsiste à l'état indigène partout où le vent la sème, indifférente aux convulsions de l'humanité. Elle accompagne fidèlement les rêveries du veilleur solitaire, les soirées blotties au coin du fauteuil et les vieillesses prolongées de ceux qui n'iront plus mieux.

Arrangeante et sans prétention, elle poussait gentiment dans tous les jardins de la campagne du début du XXe siècle. Elle vit partir des brassées de jeunes gens qui furent cueillis avant que d'être mûrs au fond des tranchées boueuses, dans l'odeur du sang, des entrailles et de la peur. Elle vit revenir mon arrière-grand-père, miraculé temporaire qui rentrait mourir, les poumons rongés, près de sa femme et de son fils. Elle l'entendit tousser pendant dix ans, depuis le lit qu'il ne quitta pas durant sa très longue convalescence. Elle poussa bravement, dans la cour de la ferme et fut l'unique boisson de ce poilu qui avait gagné, comme les autres, son droit d'alambic mais ne voulut jamais goûter la gnôle qu'il fabriquait. Elle le découvrit un jour guéri, déroulant ses presque deux mètres devant la porte et retrouvant le chemin de l'étable, de la grange et des champs. Comme lui, elle resta sur ces terres que ne labourèrent jamais les bombes et regarda grandir les enfants, les petits-enfants et naître encore une génération. Elle l'accompagna jusqu'au dernier repas, après lequel il mourut paisiblement, au terme d'une très longue vie, loin de la folie des hommes.

En ce soir du 11 novembre, je pense à cette grande horreur sans nom, à ce massacre insensé, à la sottise oublieuse de mon siècle. Une infusion de la modeste et amicale verveine tiédit patiemment près de moi, comme chaque soir ou presque. Je ne saurai jamais exactement combien je lui dois d'être là.

samedi 5 octobre 2013

D comme dimanche

Dimanche, jour de Dieu en français, jour du soleil outre Manche (c’est de l’humour anglais), septième jour de la semaine « consacré au repos » selon le Petit Robert.

Habituellement, le dimanche est un jour non travaillé. Le code du travail dispose d’ailleurs qu’il est interdit de faire travailler un salarié plus de six jours par semaine, que le repos hebdomadaire dure au moins vingt-quatre heures et que « dans l’intérêt  des salariés » ce repos est donné le dimanche. Le même code prévoit que le demandeur d’emploi qui refuserait une offre d’emploi impliquant de travailler le dimanche ne serait pas radié des listes. Suit un article relatif aux dérogations pour les établissements dont l’activité implique de travailler le dimanche.
L’intérêt d’un code, du travail ou autre,  réside tout entier dans la clarification du droit. Ici, la partition est simple : le repos dominical constitue la règle, le travail du dimanche est l’exception. Fort malheureusement, de nos jours et à l’heure qu’il est, la simplicité n’est pas toujours gage de compréhension. Il se trouve donc quelques futés qui n’entendent manifestement pas la notion de règle et d’exception. « Han, mais si y a des gens qui travaillent le dimanche, c’est que c’est pas vraiment une règle alors. Si ça vaut pas pour tout le monde, ça vaut pour personne et c’est çui qui dit qui est ». Parmi ces ardents défenseurs de la liberté de travailler des autres, peu, probablement, seraient prêts à sacrifier leurs deux jours de repos habituels mais ne soyons pas chafouins. Tentons gentiment d’expliquer à ces infortunés pourquoi il est tout simplement ridicule et aussi un peu émétisant de défendre le travail dominical (ou le travail du soir) pour vendre des boulons, du gommage ou des rideaux :
  • La crise ne va pas disparaître comme un vilain petit nuage gris dans un ciel d’août parce que les vendeurs de Leroy Merlin travaillent le dimanche. C’est très mignon de croire cela mais c’est aussi assez stupide. Range ton petit poney en plastique made in China, non sa crinière n’est pas magique même si le gentil monsieur Gattaz te l’a offert.
  • Si l’ouverture dominicale n’est plus exceptionnelle, les salariés de ces magasins pourront s’asseoir bien copieusement sur leurs primes. Si c’est normal, pourquoi les payer davantage, je vous le demande un peu.
  • Tu peux t’abstenir de consommer certains produits un jour par semaine. Si, tu es capable, concentre-toi.  Rassure-toi, tu continues quand même à consommer même en restant chez toi (de l’électricité, par exemple), tout va bien, tu es encore vivant(e).
  • Si tu pars à Leroy Merlin le dimanche matin, tu sais très bien que tu ne commenceras pas à bosser avant l’après-midi. Ces magasins ont été conçus par des gens bien plus intelligents que toi et moi pour que tu y perdes des heures. Si tu passes outre, tu ne mérites même pas le nom de bricoleur. Un chantier se commence à l’aube, à l’heure où blanchit la campagne. Fumiste.
  • Tu n’as pas besoin de parfum à dix heures du soir. Non. Si tu as tenu depuis ton lever jusque là, il n’y a pas d’urgence médicale. Tu peux attendre.  Ou te laver. 
  •  Si les magasins de boulons ouvrent le dimanche, on voit mal pourquoi on refuserait à l’honnête citoyen de vouloir acheter des timbres, des jeggings ou une râpe à fromage le même jour. Tu saisis bien l’urgence de telles emplettes. Du coup, toi aussi tu travailleras le dimanche, c’est bête, tu pourras pas acheter tes boulons ce jour-là.
  • Dans ce monde merveilleux où l’on pourrait acheter toute la semaine, tous les jours se ressembleraient. Le même rythme. Toujours. La même physionomie pour les rues , sept jours sur sept. Le même traffic routier. Les mêmes horaires. Pas de temps institué pour une pause collective, et ce, sans aucune nécessité sociale autre que le caprice de ceux dont la vie est trop vide pour souffrir un instant de contemplation. 
  •  Si tu crois vraiment être un rebelle et brandir haut les couleurs de la laïcité en supprimant le repos dominical, je te propose de passer la couche de finition en te contentant  d’un bouillon clair le soir de Noël - après avoir refusé toutes les invitations de ta famille et leur avoir clairement indiqué que pour les cadeaux ils pouvaient se brosser – et en idolâtrant un veau d’or parce que c’est interdit par la Bible.  Vas-y, sois transgressif mais bon courage pour trouver un veau, même seulement doré, chez Castorama.

Le problème mon grand, c’est qu’en décalant les temps de repos, le rythme collectif devient individuel. Il n’y a plus de repère temporel pour se retrouver soi-même et retrouver les autres, un temps de gratuité comme disent certains curés avec lesquels je suis, une fois n’est pas coutume, d’accord. Alors, ne te gêne pas, fais-la ta société où tu n’existeras que pour travailler, payer et consommer, sans réfléchir, sans attendre, sans partager, sans jamais te donner le temps du bilan.

Mais sache que tu fais bien rire ceux qui continueront à jouer au golf tous les jours de la semaine, parce que, crise ou pas, il y a sept jours des seigneurs.

mardi 26 février 2013

T comme Tony (Sly)

Alors que je baguenaudais d'un pas badin et primesautier dans les méandres d'une boîte à musique en ligne, j'eus l'idée d'écouter ces vieilles fripouilles de No use for a Name qui enchantèrent ma folle jeunesse et adoucissent le début de ma vieillesse. Une envie en appelant une autre, je voulus savoir, tout en écoutant "International you day", ce que faisait en ce moment leur chanteur, ce héros du punk à roulettes au sourire si doux que, pour sa voix qui me soulève au-dessus du sol, j'eusse écouté sans pâlir n'importe quelle sous-soupe FM du moment qu'elle fut estampillée "Tony Sly".
Finalement, je n'aurai pas à endurer un mauvais album du monsieur car j'appris alors, six mois après l'évènement, qu'il n'affronterait jamais les hydres malfaisantes de la panne d'inspiration punk. Il est mort cet été. À 41 ans.
La mort et moi sommes rarement d'accord. Elle s'en moque comme de l'an 40, elle sait qu'elle aura le dernier mot et qu'elle peut nous prendre tous ceux qui nous transcendent et nous ramènent à la volupté d'être, malgré l'inanité de ce monde.
Elle peut nous prendre un Tony Sly entre deux concerts, encore heureux de gratouiller une guitare sur une scène, fidèle à son label et au faîte de ce qui ressemblerait à la gloire punk, si cette notion avait la moindre signification. La dernière image fera très bien dans l'album de l'histoire du rock.
Mais j'aurais préféré l'entendre vieillir. Même trop, même mal.

mardi 19 février 2013

H comme homme



Je veux être un homme heureux, chantait William Sheller. Moi, je veux être un homme tout court. 
Je ne suis pas sûre qu’il me reste assez d’années à vivre pour épuiser l’énumération des possibles qui s’offriraient à moi si je changeais de genre. Malgré l’ampleur de la tâche, auprès de laquelle le tonneau des Danaïdes passerait pour un chiche dé à coudre de bar parisien, je crois de mon devoir de tenter l’impossible en dressant une liste aussi partielle que douloureuse :
-          Si j’étais un homme, je pourrais mépriser les bébés, les toiser d’un air vaguement dégoûté en m’interrogeant tout haut sur les improbables raisons qui ont pu pousser un couple d’amis drôles et cultivés à renoncer à tout ce qui rend l’existence digne d’être vécue pour engendrer une larve disgracieuse et malodorante. Au lieu de quoi, mon hostilité pour les bébés me fait passer pour une créature suspecte et pour tout dire franchement dénaturée car dans notre société sexiste ( ce qui est déjà une preuve de son inanité crasse), les femmes doivent aimer les enfants. On se demande bien pourquoi.
-          Si j’étais un homme, je pourrais dire que j’aime baiser. Pas le niveau 400 du kama-sutra ou les cinq positions hardcore de la décomplexion ultime que sinon t’es qu’un has-been du pelvis, juste baiser.  La même affirmation venant d’une femme relève du suicide social.
-          Si j’étais un homme, je pourrais manger du boudin et des tripes sans que mes soi-disant semblables froncent leur nez poudré en poussant des couinements horrifiés. Parce qu’une femme, une vraie, ne mange pas, elle grignote. Et uniquement des cupcakes ou des macarons. Qui ne rêverait de passer sa vie dans la peau d’une souris anorexique en partance pour le diabète ?
-          Si j’étais un homme, en été, je ne porterais rien d’autre qu’un bermuda et des poils au lieu d’une jupe sur des jambes épilées. Parce qu’une femme se doit d’être douce. Tout le temps. Partout. Et à tous points de vue. Alors que se coltiner un statut de femme mène assez logiquement à la fureur homicide.
-          Si j’étais un homme et que je sois trompé, personne ne se demanderait si je faisais bien au lit tout ce que ma conjointe voulait ou si je ne m’étais pas un peu négligé ces derniers temps.
-          Si j’étais un homme, j’aurais le droit d’être moche et de vieillir sans qu’il devienne inconcevable de m’aimer.
-          Si j’étais un homme, j’aurais un salaire correspondant à mon poste et je ne saurais même pas ce que condescendance veut dire.
-          Si j’étais un homme, j’accèderais pleinement au statut d’être humain. Ça doit être bien.

jeudi 14 février 2013

O comme ours (polaire)



À mesure que fond la banquise, le garde-manger que des dieux un peu dérangés avaient réservé aux ours polaires se vide. Car enfin, quelle intelligence rationnelle et un peu sensible aurait imaginé de sacrifier des bébés otarie à des monstres puants et même pas capables d’entretenir correctement leur fourrure ? L’ours blanc n’est pas blanc. Il est jaune sale, tel un clochard polaire qui s’oublierait régulièrement dans son manteau après avoir ingurgité ses deux litres de Valstar. Il y a fort à parier pour que l’ours blanc pue gravement du bec mais peu de gentlemen pourront en témoigner tant le caractère épouvantable de l’animal le rend peu agréable à fréquenter. L’ours polaire est donc paré de tous les défauts les plus outrageants à notre délicatesse d’âme mais il se trouve quelques originaux pour s’émouvoir de sa probable disparition dans quelques décennies. 

Car l’ours blanc bouffe comme quatre.  Incapable d’apprécier les mets raffinés ou de tenir correctement sa fourchette en argent, le rustre bâfre dans les colonies de phoques où il n’est pourtant pas le bienvenu. On ne saurait être plus inconvenant que ce gros plantigrade malpropre qui s’invite sans vergogne chez ses voisins. Certains ours blancs qui ont l’extrême grossièreté de s’accoupler avec des grizzlis - ces derniers ne valant guère mieux - donnent naissance à des hybrides appelés grolars. Le terme se passe de commentaires.

Il resterait 20 à 25 000 de ces inconvenantes créatures, incapables de trouver un travail et d’assurer leur subsistance ailleurs que dans leur trou paumé et glacé où pas un Rotary club n’a pu subsister. Pour combler l’appétit de ces feignasses velues, des chercheurs envisagent de les nourrir, les faisant ainsi passer du statut de malotrus dépenaillés à celui d’assistés de la société. Il faudrait approvisionner ces grossiers personnages en viande de phoque pour  conserver le bien mince agrément de leur compagnie sur cette terre. 

En vérité mes amis, je m’insurge et je dis non. Qui paiera, hein, je vous le demande un peu ? Toujours les mêmes. Vous verrez qu’on nous demandera de travailler un jour de plus par an, au nom de la solidarité plantigrade. Et pendant ce temps, ces beatniks du froid fumeront du haschisch en faisant des flippers. Pas question, ne nous laissons pas faire.  Car après eux, ce sera les guépards, puis les pandas et pourquoi pas les hippopotames nains ? Non, nous n’accueillerons pas toute la misère de la biodiversité du monde. Qu’ils se mettent au boulot au lieu de dormir jusqu’à pas d’heure.

D’autant qu’une fois que nous aurons mis en place des filières d’abattage de phoque avec l’argent du contribuable, que se passera-t-il ? On retrouvera les bas morceaux dans les lasagnes surgelées que leurs réseaux nous revendront pour blanchir leur trafic de poudreuse. Qu’ils disparaissent jusqu’au dernier, les ours polaires, et leur blanc approximatif avec eux.  

Source documentaire par de vrais scientifiques : http://e360.yale.edu/feature/will_bold_steps_be_needed_to_save_beleaguered_polar_bears/2618/